La fin de l’automatisation (telle que nous la connaissons) ?

La convergence IT/OT

La séparation historique entre l’informatique d’un coté, au sens systèmes d’information et applications, et automatisme de l’autre, au sens automatisme industriel, arrive à sa fin. Les technologies et leurs protocoles sont de plus en plus identiques. Pour vos entreprises, cela signifie un changement de mentalité mais aussi une évolution de vos équipes.

PLC vs Architecture hybride

Pour commencer, parlons des PLC (Programmable Logic Controller). Ces automates industriels coûtent souvent plusieurs milliers d’euros. Historiquement, ces plateformes garantissent une sûreté de fonctionnement sans failles au prix d’une programmation simplifiée. Mais l’invasion des systèmes embarqués critiques dans de nombreux domaines montre que cette même qualité peut être obtenue à moindre coût matériels : le prix unitaire de fabrication est bien moindre. Par contre, cela demande de nouvelles compétences pour bien maîtriser l’architecture et donc le risque. Les architectures hybrides, mélangeant des µ-contrôleurs et des µ-processeurs, sont maintenant utilisables dans tous les domaines et avec une même qualité de services.

Notons au passage que même des gros éditeurs de logiciel pour PLC ciblent des architectures à bas coût comme les Raspberry Pi. Et la fondation Raspberry propose même une version industrielle de son système.

TSN et OPC UA

Autre point de convergence : les protocoles d’échanges. Autrefois, les systèmes embarqués temps réels durs (pensez aux avions et aux voitures, par exemple) nécessitaient leurs propres protocoles réseaux afin de garantir les temps de transmission. Il existait des protocoles pour réseaux industriels, pour réseaux embarqués, etc. Mais maintenant TSN (Time Sensitive Network), une sorte de réseau Ethernet dirigé par le temps, est un protocole réseau capable de répondre à tous ces besoins. On le retrouve à l’étude aussi bien dans l’aéronautique que dans les coeurs de réseaux d’usine.

 

Au niveau applicatif réseau, OPC UA est en cours d’unification des multiples protocoles propriétaires. Ainsi les nombreux “compagnons” de la spécification OPC UA définissent mêmes les données que des systèmes similaires devraient échanger. Encore plus intéressant, OPC UA fonctionne au-dessus de plusieurs protocoles réseau dont TSN.

Cloud, IIoT

OPC UA a aussi été pensé dès le début pour faire le lien depuis les plus petits capteurs ou actionneurs jusqu’à la partie orchestration et supervision. Par ailleurs, l’internet des objets (IoT) et son fort besoin de stockage et d’analyse des données a fortement démontré l’intérêt du cloud. Là encore, l’IT et l’OT convergent donc (Industrial IoT) et toutes les briques s’assemblent parfaitement. D’ailleurs de grands noms de l’industrie fournissent leurs propres plateformes cloud et cherchent à attirer des développeurs d’applicatifs.

Mais qui a dans ces équipes d’automaticiens des spécialistes du cloud ?

Sur le terrain

S’il en fallait encore, des observations de terrains appuient cette démonstration. C’est encore plus flagrant dans les services de R&D (dans plusieurs domaines comme la pharmaceutique, ferroviaire, et d’autres) : j’ai connaissance de plus en plus d’automaticiens qui se mettent à programmer en Javascript pour des interfaces graphiques ou pour des maquettes. Des automaticiens, des data-scientistes, et des experts du cloud se réunissent autour d’une table pour mettre au point un système industriel. Je vois aussi des informaticiens dialoguer avec des automaticiens à coups de schémas ladder ou autres grafcets. Je vois aussi des automaticiens décortiquer des schémas UML qui apparaissent maintenant dans les spécifications de leurs normes.

Changement culturel et organisationnel

La convergence est, à mon sens, clairement en marche. Comme toute convergence, elle demande initialement un effort des deux parties pour apprendre à communiquer. Mais il ne faudrait pas sous-estimer l’accompagnement à fournir dans ce changement de culture. Des expertises vont s’estomper, d’autres vont prendre de l’ampleur. Tout cela va arriver dans des équipes qui ne sont pas forcément prêtes.

 

L’impact ne sera pas que culturel. Les fournisseurs aussi vont devoir évoluer. L’attrait d’une marque ne suffira plus au regard du gain économique et du gain en efficience énergétique d’une architecture hybride. Les services IT aussi devront prendre en compte de nouvelles compétences et de nouveaux usages (notamment imposé par les nouveaux usages domestiques).

De nouveaux profils

Immanquablement, de nouveaux profils vont donc émerger. Plus exactement, initialement les profils atypiques vont être valorisés : ceux qui auront acquis une expérience diversifiée à la croisée de ces domaines, ceux qui auront fait une reconversion. Suivra probablement une phase de consolidation des formations, où l’on pourra (peut-être) trouver des cyber-architectes cloud/µ-processeur/µ-contrôleur, des data-spécialistes en systèmes cyber-physiques temps-réel.

À vous

Bref, au-delà des nombreux mots-clefs à la mode, l’impact sera bien réel et il faut s’y préparer. L’impact étant global, il faudra sûrement aller au-delà de simple stratégie RH, mais impliquer tous les services. Cela peut commencer par l’externalisation d’un projet de R&D, la mise en place de temps dédié à la veille technologique, ou bien d’autres moyens. Comme pour le reste, il faudra être créatif, curieux, et adaptatif.

Loïc Fejoz

Architecte Systèmes Embarqués / Critiques